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RCI Guadeloupe: une journaliste sanctionnée pour avoir fait son travail

L’Association des Journalistes Antiracistes et Racisé·e·s (AJAR) et Prenons La Une (PLU), deux associations regroupant environ 400 journalistes, condamnent la décision de la chaîne radio RCI Guadeloupe de retirer sa présentatrice Barbara Olivier-Zandronis de l’antenne. Cette sanction fait suite à son interview menée avec pugnacité, le vendredi 8 décembre, de Jordan Bardella, président du Rassemblement National. 

Pour la direction de RCI Guadeloupe, cet entretien n’était pas journalistique mais de l’ordre de l’« opinion ». Pourtant, la journaliste n’a fait que rappeler des faits au président du Rassemblement National dans ses questions : la présence fortement contestée du RN, historiquement, en Guadeloupe, la fausseté de ses affirmations sur l’aide médicale d’état (AME), l’accueil indigne des personnes migrantes (que Bardella au contraire qualifie d’« hôtel cinq étoiles pour l’Afrique »), la quasi-absence de propositions au parlement européen par l’euro-député depuis le début de son mandat, et la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Le tout, de façon sourcée. Depuis quand questionner un représentant politique à partir de faits constitue-t-il une opinion?

Face à Barbara Olivier-Zandronis, Jordan Bardella provoque et insulte. Il la qualifie d’« agressive » à plusieurs reprises alors qu’il refuse de répondre aux questions posées, et que notre consoeur les lui adresse à nouveau en refusant de se laisser déstabiliser et d’accepter des réponses qui ne correspondent pas aux questions. Désinvolte, Jordan Bardella laisse son téléphone allumé : celui-ci sonne bruyamment plusieurs fois durant l’échange. Il semble même décidé à prendre un appel pour esquiver une question, interrompant l’interview d’une manière particulièrement cavalière. Enfin, il accuse la journaliste d’être partisane, lui demandant si elle est encartée dans un parti. 

La première réaction de la direction à la sortie de l’entretien? Présenter des excuses à Jordan Bardella, reprenant à leur compte les accusations d’ « agressivité » envers la journaliste, révèle Libération.

A-t’on encore le droit d’être des journalistes face au RN ou est-ce qu’on attend de nous d’être des communicant·es participant à la validation et à la propagation des fausses informations que ce parti diffuse en permanence ? Un parti dont le fondateur a été condamné pour son négationnisme de la Shoah. Un parti dont des membres ont été condamnés pour racisme et dont  certains cadres sont lié·es à des groupes néofascistes violents comme le GUD. Un parti ayant pour premier objectif d’instaurer un programme raciste et xénophobe de « préférence nationale ». Faudrait-il participer à la normalisation de ce parti à l’aide d’entretiens mielleux, au mépris du rappel de faits, le cœur de notre métier?

Ce vendredi 8 décembre, Barbara Olivier-Zandronis a, en réalité, honoré notre profession. Elle n’a fait que confronter un politicien en campagne à des faits qui interrogent la cohérence entre son discours et ses actes. Notre consoeur a tenté de briser la langue de bois politique en restant ancrée dans ses questions. Son ton n’était pas agressif : elle a simplement refusé d’accepter des réponses qui ne correspondaient pas à ses questions. C’est le rôle d’une journaliste. Mais est-ce notre rôle d’être conciliant face à des représentants du peuple et experts en communication politique, en particulier du RN ? Est-ce notre rôle de l’être, d’autant plus compte tenu de l’histoire esclavagiste raciste française, notamment aux Antilles et en Guadeloupe ? Est-ce nôtre rôle d’être conciliants, d’autant plus au vu des positions du RN sur ce pan de l’Histoire ? Barbara Olivier-Zandronis mérite-t-elle un tel désaveu ? 

L’AJAR et PLU s’accordent pour dire que non. Au contraire, Barbara Olivier-Zandronis devrait être citée en exemple et défendue par sa rédaction, et non pas dénigrée pour son travail, comme a pu le faire son directeur devant Jordan Bardella et jusque dans les colonnes de Libération.

Comme plus de 8000 citoyens et journalistes signataires de la pétition de soutien, nous appelons RCI à la rétablir à son poste de présentatrice et intervieweuse.

Le 11 Décembre 2023

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Couverture de la guerre Israël/Palestine : L’AJAR dénonce le double standard

Reprise des éléments de langage de l’armée israélienne sans mise à distance, déshumanisation des Palestinien·nes, demandes de condamnations asymétriques, effacement du contexte, sans oublier le racisme dans les rédactions : la couverture du conflit israélo-palestinien constitue un cas d’école des raisons d’être de l’Association des journalistes antiracistes et racisé·e·s (AJAR).

Dans trop de rédactions, certains de nos consoeurs et confrères cèdent à des biais racistes ou perdent la distance nécessaire à une couverture équilibrée et déontologique de la guerre menée par Israël ces dernières semaines à Gaza. Décryptage.

Les Palestinien·nes déshumanisé·es

Les massacres du Hamas du 7 octobre ont donné lieu, à juste titre, à des portraits humanisants des victimes israéliennes et étrangères, ainsi que des familles qui continuent d’attendre la libération de leurs proches.

Les Palestinien·nes, de leur côté, ne bénéficient pas d’un tel traitement médiatique et sont souvent réduit·es à des additions désincarnées : 1000, 6000, 7000, 10 000 morts. Malgré les problèmes d’accès et les conditions de travail extrêmement dangereuses à Gaza pour les journalistes locaux, notre profession doit trouver les moyens d’humaniser aussi ces victimes civiles des pilonnages et raids israéliens. Leurs proches et leur douleur aussi doivent être racontés.

Malheureusement cette humanisation n’apparaît pas comme une priorité pour tous et toutes. Au contraire, certain·es éditorialistes et invité·es s’acharnent à expliquer que tous les morts n’ont pas la même valeur : les Palestinien·nes ne seraient que des « dommages collatéraux ». Ils et elles hiérarchisent les vies humaines et leur parole est accueillie sans être questionnée ou confrontée aux faits.

L’AJAR a compilé quelques séquences médiatiques illustrant cette déshumanisation, le double standard et le racisme du moment en un zapping.

“Condamnez vous le Hamas?”

Nombre de nos consoeurs et confrères s’obstinent par ailleurs à demander des condamnations par leurs invité·es palestinien·nes ou pro-palestinien·nes, lorsque ils et elles sont invité·es, au sujet des massacres de civils par le Hamas. La récurrence de cette question et l’insistance de certain·es à la poser révèlent un double standard. Le rapport à leur gouvernement ne constitue pas un préalable aux interviews d’Israélien·nes alors que leur armée tue des civils et des journalistes à un rythme inédit, et que leurs représentant·es multiplient propos ou actes meurtriers et déshumanisants.

Reprise d’un lexique militaire euphémisant

À cela s’ajoute une absence de distance par rapport à la communication de l’armée israélienne, dont la terminologie est reprise sans questionnements. “Riposte”, “frappes ciblées” ou ”méthodiques”, “opération”, “guerre contre le Hamas”, “bavures” font partie d’un jargon militaire euphémisant, voire trompeur.

Elles devraient être remplacées dans nos médias par des mots plus précis pour décrire les faits : bombardements, pilonnage, destructions d’infrastructures, attaques, invasion terrestre, tueries de civils, …

Une suspicion à géométrie variable

Si la terminologie de l’armée israélienne est reprise sans distance, on assiste en revanche à une remise en cause du nombre de morts palestiniens par des formules suspicieuses : “selon le ministère de la santé du Hamas” voire “selon le Hamas”, particulièrement après la frappe qui a touché l’hôpital Al-Ahli et l’estimation encore incomplète du nombre de morts. Raison avancée ? L’incapacité à vérifier les chiffres de manière indépendante, comme si ce standard était appliqué aux chiffres des autres ministères de la santé dans le monde.

Garder une distance par rapport à ses sources est un aspect essentiel de notre travail : c’est donc un standard à appliquer de manière uniforme ou par rapport à un historique de manquements. De nombreux experts et l’ONU expliquent que les données du ministère de la santé de Gaza sont historiquement fiables, d’autant plus qu’il a publié une liste détaillée de tous les morts recensés. 

Les informations avancées par les autorités israéliennes ne sont pas soumises au même examen, malgré un historique de désinformation, comme lorsque l’armée israélienne avait initialement menti sur sa responsabilité dans le meurtre de notre consoeur palestino-américaine Shireen Abu Akleh l’année dernière. Ce doute asymétrique ne respecte pas la charte d’éthique professionnelle des journalistes : “un journaliste digne de ce nom tient […] l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique”. Cette asymétrie nous détourne aussi de notre rôle d’information sur la réalité du massacre en cours à Gaza.

« Terroriste »

La dimension politique du mot « terroriste » pose question sur son emploi par la presse. Sa définition n’est pas définie dans le droit international et varie d’un pays à l’autre. Les trois plus grandes agences de presse internationales, Associated Press, l’Agence France Presse et Reuters proscrivent le terme hors citation ou attribution.

La raison en est expliquée dans ce tweet de l’AFP que nous citons ici: “L’emploi du mot terroriste est extrêmement politisé et sensible. De nombreux gouvernements qualifient d’organisations terroristes les mouvements de résistance ou d’opposition dans leurs pays. De nombreux mouvements ou personnalités issus d’une résistance un temps qualifiée de terroriste ont été reconnus par la communauté internationale et sont devenus des acteurs centraux de la vie politique de leur pays. L’AFP ne décrit pas les auteurs de tels actes, passés ou présents, comme des “terroristes”. Cela inclut des groupes comme l’ETA, les Tigres de Libération de l’Eelam tamoul, les FARC, l’IRA, Al-Qaeda et les différents groupes qui ont mené des attaques en Europe au siècle dernier, dont les Brigades Rouges, la Bande à Baader et Action Directe.« 

Dans le débat médiatique et politique, tout comme dans certaines rédactions, le refus d’utiliser le terme “terroriste” est vu de manière suspicieuse – comme si cette rigueur modelée sur celle des agences de presse valait soutien au Hamas. 

Les grands mots absents: Nakba, colonialisme, occupation, suprémacisme et apartheid

La contextualisation historique, politique et sociologique est une grande absente de la couverture de la situation actuelle en Israël/Palestine. La Nakba de 1948, l’expulsion forcée et l’exode de Palestinien·nes chassé·es et interdit·es de retourner chez eux, certain·es maintenant enfermé·es à Gaza ou mort·es sous les bombes, est peu évoquée.

La responsabilité du gouvernement israélien dans la colonisation illégale en Cisjordanie, de l’occupation de Jérusalem-Est ou encore de l’apartheid est souvent invisible. Celle-ci a pourtant été méthodiquement documentée par Amnesty International, Humans Rights Watch ainsi que B’tselem. Peu de médias rappellent que, depuis 1967, près de 11 résolutions condamnant l’occupation de la Cisjordanie et les atteintes aux civils ont été votées par l’ONU. L’ancrage à l’extrême-droite suprémaciste du gouvernement israélien fait également partie des éléments de contexte éludés dans la majorité des analyses de la situation proposées par la presse nationale. 

Risque génocidaire

Selon des experts de l’ONU et plus de 700 spécialistes du droit international, des génocides et de la Shoah, des marqueurs inquiétants d’un processus de nettoyage ethnique et d’un risque génocidaire pour les Palestinien·nes se multiplient actuellement. Ces éléments ne sont que rarement mobilisés dans les remises en contexte et les choix de vocabulaire de nos consoeurs et confrères, les renvoyant implicitement à un lexique de propagande politique.

La mort de l’information

Depuis le 7 octobre, au moins 39 journalistes sont mort·es parmi lesquels 34 Palestinien·nes, 4 Israélien·nes et 1 Libanais. C’est la période la plus meurtrière pour les journalistes depuis que le Comité pour la protection des journalistes a commencé à compter en 1992.

Nos consoeurs et confrères doivent prendre acte du ciblage et du meurtre de journalistes palestinien·nes, souvent visé·es directement par l’armée israélienne alors qu’ils et elles sont parfaitement identifiables, comme l’était Shireen Abu Akleh le 11 mai 2022 à Jénine en Cisjordanie occupée.

Au blocus de la bande de Gaza et à la mort des journalistes sous les bombardements israéliens, s’ajoute maintenant une destruction des moyens de communication, rendant impossible l’accès à l’information tout court. Comment, dans de telles conditions peut-on prendre la parole militaire ou politique israélienne pour argent comptant? Notre rôle est de garder une distance pour ne pas se faire emporter dans la guerre informationnelle en cours.

Ce blocus informationnel pèse sur la qualité de l’information : il doit être nommé et dénoncé. Si les reportages dans Gaza et les paroles de Gazaouis manquent, c’est aussi parce qu’Israël entrave l’exercice de notre profession.

Le racisme en rédaction et en école de journalisme

Comme exprimé à travers un communiqué publié le 2 novembre, l’AJAR constate et condamne la recrudescence de propos et comportements racistes au sein des rédactions à l’aune de la guerre. L’AJAR est aussi au fait de situations similaires en écoles de journalisme. Le racisme des productions journalistiques et le racisme en école et au travail se nourrissent les uns des autres. Ils doivent cesser. 

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Israël/Palestine: l’AJAR condamne le racisme dans les rédactions

À l’attention des rédactions françaises,

Depuis les massacres du Hamas le 7 octobre, suivi du pilonnage ininterrompu d’Israël sur la bande de Gaza assiégée, la guerre israélo-palestinienne occupe une place prépondérante dans la couverture française de l’actualité. L’AJAR constate que celle-ci est déséquilibrée dans de nombreux médias français, notamment par sa tendance à l’invisibilisation et à la déshumanisation des Palestinien·nes. Nous publierons prochainement un décryptage à ce sujet.

Le racisme qui infuse les productions médiatiques se manifeste aussi contre certain·es journalistes racisé·es. L’AJAR condamne fermement le racisme qui s’exprime en rédaction, et se tient à disposition des personnes visées cherchant du soutien ou souhaitant engager des poursuites. L’AJAR rappelle aux employeurs qu’ils ont l’obligation de protéger leurs salarié·es des propos et comportements racistes.

Notre association, regroupant près de 200 journalistes, est au fait de situations préoccupantes vécues par des confrères et consoeurs depuis plus de trois semaines. Nos membres font état de conditions de travail fortement dégradées.

Dans leurs rédactions, on considère que l’attachement, réel ou supposé, de journalistes au respect des droits du peuple palestinien, les biaise, et les empêche de faire leur travail correctement, d’autant plus si ces journalistes sont arabes ou musulman·es. Certain·es nous rapportent des remarques racistes, d’autres des blagues, ou des accusations à peine déguisées évoquant une sympathie supposée avec le Hamas. Cette suspicion d’affinités terroristes est un ressort islamophobe classique contre les personnes arabes ou musulmanes. Nous sommes aussi au fait d’un cas de fouille au faciès, jamais expérimentée précédemment, à l’entrée d’une grande rédaction télé.

Nos membres témoignent également de mises à l’écart et d’un manque de confiance professionnelle de la part de leur hiérarchie, qui ignore leurs propositions d’angles et contrôle leur production de manière inédite. Tout cela, sans susciter de réactions de la part des collègues ou des chef·fes présent·es.  


Les journalistes juif·ves, ou considéré·es comme tels, peuvent eux aussi être la cible d’antisémitisme et considéré·es comme soutenant les choix politiques actuels de l’État israélien, ou comme spécialistes de facto de la société israélienne. Cette essentialisation et assimilation des Juif·ves à l’État ou à la société israélienne est antisémite.


Ces attaques sont intolérables et pèsent sur la santé mentale de ces journalistes racisé·es : elles causent un mal-être grandissant chez nombre d’entre nous et entraînent des risques psychosociaux au travail. Nous exigeons que les rédactions mettent fin à ces comportements racistes envers leurs employé·es arabes, musulman·es ou juif·ves.

Ressentir de l’empathie envers des victimes civiles ne constitue pas une faute professionnelle. Être raciste, si.

L’AJAR tient à rappeler avec la plus grande fermeté que :

Nous sommes à la disposition des personnes souhaitant engager des poursuites. Comme prévu depuis notre création, l’AJAR travaille avec les syndicats de la profession, rapproche les personnes concernées de ressources légales, et aide à engager les procédures nécessaires afin que cesse le racisme qu’elles subissent en rédaction. L’AJAR accompagne aussi celles et ceux pour qui ces poursuites seraient trop lourdes, mais qui cherchent simplement du soutien. L’AJAR réaffirme sa solidarité avec tou·te·s les consoeurs et confrères, notamment arabes, musulman·es et juif·ves, dont la santé mentale doit être protégée dans le contexte d’une actualité violente.

Vous pouvez contacter l’association sur nos réseaux sociaux, de préférence sur Twitter (X), ou Instagram, sinon sur Facebook, LinkedIn ou par mail à ajaracisees@gmail.com.

À Paris, le 2 novembre 2023

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Pour une Association de journalistes antiracistes et racisé·e·s

Face au constat du racisme et du manque de représentation dans les médias, 170 journalistes s’engagent.

Nous sommes journalistes de presse écrite, web, radio, télévision et photographes. Nous sommes, par nos histoires, nos origines ethniques, nos couleurs de peau, nos religions, concerné·e·s par le racisme dans la société française, y compris dans les médias. Nous avons décidé de créer l’Association des journalistes antiracistes et racisé·e·s (AJAR) pour s’attaquer au racisme dans le journalisme.

Les rédactions, de gauche comme de droite, restent en grande majorité blanches, notamment aux postes à responsabilités. Il y a urgence à nous y faire une place.

Nous voulons soutenir nos consœurs et confrères discriminé·e·s, exploité·e·s et marginalisé·e·s en école, en recherche d’emploi, en situation de précarité et en rédaction. Inspiré·e·s par les initiatives de l’Association des journalistes LGBTI (AJLGBTI) et de Prenons la une créée par des femmes journalistes, nous nous sommes réuni·e·s afin d’agir ensemble.

Le racisme, dès l’école de journalisme

Le racisme en rédaction, c’est un chef d’un grand journal parisien qui recommande à l’un de nous de changer de nom pour être plus employable. C’est un collègue, dans un média de gauche, qui s’oppose à un sujet sur le racisme anti-asiatique, car ce serait une nouvelle invention «pour une communauté qui cherche à exister». C’est un chef dans la presse professionnelle qui surnomme l’une de nos membres «la petite beurette».

Ces exemples vécus ne sont pas isolés. D’après l’enquête du SNJ-CGT à venir sur le racisme dans les médias, près d’un·e journaliste sur deux ayant répondu à l’enquête est témoin de racisme sur son lieu de travail. Et cela commence dès l’école de journalisme, où les personnes racisées sont en grande minorité et de fait, déjà exclues des réseaux de la profession. 

Les blagues racistes sont omniprésentes dans les cercles d’étudiant·e·s. Il y a un an, une étudiante noire se voit par exemple affublée d’un filtre singe sur une photo que l’un de ses camarades de classe fait circuler. Il y a quelques mois, pendant le voyage scolaire d’une école prestigieuse, un professeur imite Jean-Marie Le Pen auprès de l’un de nos membres d’origine algérienne. Il blague sur les massacres coloniaux : «Nous faisions barbecue d’Algériens.»

Racisme sur les ondes et dans les colonnes des journaux 

Cette marginalisation s’ajoute à un climat de violences racistes dans l’espace public. En février, des journalistes du Poher, hebdomadaire breton, ont été visés par des menaces de mort et une alerte à la bombe, après des articles sur un projet d’accueil de réfugié·e·s. Un billet antisémite sur un site d’extrême droite commente la supposée judéité de deux journalistes de la rédaction, avant de les qualifier de «collabos», puisqu’iels soutiendraient «l’invasion migratoire».

Très régulièrement, des plateaux de télévision aux colonnes des journaux, des propos stigmatisants sont tenus sans que grand monde ne s’en émeuve. Ainsi, en février, pour décrire la désorganisation des débats parlementaires, un sénateur compare l’Assemblée nationale à «un camp de gitans» sur Radio J. L’expression est ensuite reprise, sans être critiquée, par une journaliste sur BFM TV. Comme la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, nous pensons que «l’antitsiganisme n’a pas sa place dans le débat public».

Un mois plus tôt, Omar Sy est interviewé sur son rôle dans le film Tirailleurs, qui raconte l’injustice vécue par les tirailleurs sénégalais. Il pointe du doigt le manque d’empathie envers les victimes de la guerre dans des pays non-occidentaux, comparée à celle accordée aux Ukrainiens. Cette remarque déclenche une avalanche de critiques racistes. Le terme d’«ingratitude» est lâché, plusieurs fois, sur différents plateaux. A des heures de grande écoute, des journalistes exigent d’un Français noir qu’il se fasse petit et dise «merci» pour sa carrière.

En décembre, l’ancien dirigeant de la chaîne LCI déclarait sur CNews que les «musulmans s’en foutent de la République, ils ne savent même pas ce que le mot veut dire». L’obsession médiatique islamophobe frappe régulièrement les musulman·e·s, en particulier les femmes musulmanes portant un foulard.

En janvier 2020, le Courrier picard titre «Alerte jaune», à propos du coronavirus, avec une femme est-asiatique en photo. Le journal finit par s’excuser. 

Préciser l’origine ou la nationalité des criminels lorsqu’ils ne sont pas européens reste encore un réflexe peu remis en question.

Face à ces constats, nous appelons les rédactions et les écoles à prendre leurs responsabilités. Nous croyons qu’un autre traitement médiatique est possible, respectueux des personnes, donnant la parole aux concerné·e·s. 

Les dynamiques racistes méritent une attention sérieuse et une couverture médiatique exigeante. Cela passe aussi par le recrutement de personnes racisées et pas uniquement celles issues des milieux les plus favorisés.

Nous, l’Association des journalistes antiracistes et racisé·e·s, invitons les journalistes confronté·e·s au racisme à nous rejoindre, et appelons avec nos soutiens, les rédactions, les écoles, les syndicats et les collectifs de journalistes à travailler ensemble.

(Pour nous rejoindre, veuillez nous écrire sur nos réseaux sociaux, sur Twitter ou sur Instagram ) 

Cette tribune a initialement été publiée dans Libération.

Signataires : 

170 journalistes avec le soutien d’un collectif de syndicats et d’organisations dont le SNJ, le SNJ-CGT, Prenons la une, l’AJL, les Femmes Journalistes de Sport, Profession : pigiste, et la Chance aux concours. 

Parmi les signatures individuelles, 70 adhérent.e.s :

Amine Abdelli

Yunnes Abzouz

Maria Aït Ouariane

Amel Almia

Mariétou 

Rasha Baraka

Arwa Barkallah

Houda Benallal

Sarah Benichou

Helena Berkaoui

Sarah Bos

Nadia Bouchenni

Yasmine Choukairy

Linh-Lan Dao

Maële Diallo

Nada Didouh

Samba Doucouré

Jade Duong

Mouna El Mokhtari

Maya Elboudrari

Manal Fkihi

Bérénice Gabriel

Yousra Gouja

Yannis Habachou

Sindbad Hammache

Donia Ismail

Juliette Jabkhiro

Dimitri Jean

Jalal Kahlioui

Héléna Khattab

Camélia Kheiredine

Mariam Koné

Marie Koyouo

Gurvan Kristanadjaja

Yena Lee

Cyril Lemba

Orian Lempereur-Castelli

Olorin Maquindus

Merwane Mehadji

Alicia Mihami

Sabrine Mimouni

Léa MorminChauvac

Soraya MorvanSmith

Christelle Murhula

Dalinie Mvemba

Estelle Ndjandjo

Lauriane Nembrot

Eloïse Nguyen-Van Bajou

Aziz Oguz

Iris Ouedraogo

Rémi-Kenzo Pagès

Arno Pedram

Méwaine Petard

Céline Pierre-Magnani

Pascaline Pommier

Thomas Porlon

Anissa Rami

Eric Ratiarison

Lina Rhrissi

Gabriel RobertGironcelle

Kadiatou Sakho

Ingrid Therwath

Fatma Torkhani

Faïza Zerouala

Khedidja Zerouali

Ainsi que 5 signataires journalistes anonymes.

Parmi les signatures individuelles, 100 soutiens dont une partie est entrain d’adhérer à l’association. 

Said Amdaa

Ekia Badou

Vedika Bahl

Asia Balluffier

Armêl Balogog

Karine Barzegar

Samia Basille

Cyrielle Bedu

Inès Belgacem

Mounir Belhidaoui

Baya Bellanger

Nouma Bem

Hanan Ben Rhouma

Laurine Benjebria

Sylsphée Bertili

Smaël Bouaici

Nora Bouazzouni

Myriam Bounafaa

Sophie Boutboul

Chamseddine Bouzghaïa

Nejma Brahim

Marwan Chahine

Yong Chim

Syanie Dalmat

Katia Dansoko Touré

Esther Degbe

Aline Deschamps

Rokhaya Diallo

Oumar Diawara

Saliou Diouf

Thu-An Duong

Rachida El Azzouzi

Inès El Kaladi

Mohamed Errami

Ijou Faraoun

Renwa Fares

Balla Fofana

Sébastien Folin

Brieuc Ghorchi

Renée Greusard

Ismaël Halissat

Nora Hamadi

Julie Hamaïde

Dan Israel

Paul-Arthur JeanMarie

Leïla Khouiel

Alexandre-Reza Kokabi

Jadine Labbé Pacheco

Rachid Laïreche

Laura Lavenne

Nadiya Lazzouni

Grace Ly

Romain Mahdoud

Ouafae Mameche

Ophélie Manya

Simon Mauvieux

Manon Mella

Yoram Melloul

Lydia Menez

Laurence Méride

Samia Metheni

Yanis Mhamdi

Mejdaline Mhiri

Malik Miktar

Ismail Mohamed Ali

Hajera Mohammad

Nordine Nabili

Chiguecky Ndengila

Sarah Nedjar

Jessie Nganga

Linda Nguon

Coumba Niang

Anastasia Nicolas

Sandra Onana

Yinka Oyetade

Jennifer Padjemi

Shaï Pauset

Norine Raja

Ilyes Ramdani

Ali Rebeihi

Guy Registe

Juan David Romero

Nora Sahli

Rouguyata Sall

Yérim Sar

Jennie Shin

Jessica Taieb

Eva Tapiero

Redwane Telha

Mélody Thomas

Vanessa Vertus

Dominique Vidal

Rémi Yang

Raphäl Yem

Sabrine Zahran

Lynda Zerouk

Ambrine Ziani

Ainsi que 3 signataires journalistes anonymes.